28 septembre 2007

bureau 19, couloir de l'administration

Cabinet Bleuxblanrouje
Docteur État
Emploi-ologue

sujet: être humain normal.
antécédents: vie normale. (capacité à sourire, sociabilité naturelle, politesse acquise, 5 sens fonctionnels permettant notamment la conscience de la présence d'autrui, entendement correct, santé correcte, système nerveux comme neuf.)
diagnostic: inactivité/absence d'emploi à tendance recherche d'emploi.
prescriptions: fonctionnariat. administration d'université. service des inscriptions.
posologie: CDI. 35h/mois soit 1607h/an (en dehors des repas) pendant 40 ans.
effets souhaités: retraite en temps et en heure après services rendus.
effets non souhaités: déshumanisation.

c'était pourtant simple.
trop simple?
Madame E. avait pour tache de recevoir de futurs étudiants et de les inscrire, de recevoir des étudiants et de les réinscrire.
Plus concrètement, Madame E. envoyait ou donnait en main propre à de jeunes gens des dossiers à couleur variable selon les années (rose en 2007, vert en 2006) à remplir par leurs soins.
Ensuite Madame E. devait taper ou saisir (nuance au fond assez intéressante si vous y songez) les informations dans des dossiers informatiques à l'aide d'un logiciel variable également selon les années (Casper en 2007, Aragorn en 2006).
Ensuite un autre bureau recevait les données et imprimait les cartes d'étudiant. Cartes qui revenaient au bureau 19 pour être envoyées aux désormais étudiants.
Telle était l'Inscription. Mission de toute une vie active, 40 ans de cotisations, 40 années similaires. Sauf si on s'attache à se nourrir de la variété des couleurs et des héros fantastiques. Quand on peut encore le remarquer, quand on ne souffre pas d'un tel séisme dans le paysage lunaire de l'administration.
Car Madame E. souffre. Souffre de surmenage. Madame E. est à deux ans de la retraite. Madame E. devait être une personne humaine il y a 38 ans. Mais 38 ans de bureau 19 abîme.

Maintenant Madame E. ne sourit plus ou seulement par spasme. Ne souhaite plus du fond du coeur le bonjour à un étudiant qui entre dans le bureau. Si ce dernier entre hors horaires Madame E. hurle, se jette sur la porte qu'elle claque au nez du malheureux et retourne se rasseoir sur son siège à roulettes en grognant à propos de ce malotru pendant quinze bonnes minutes, sans nécessairement qu'on l'écoute.

Madame E. c'est de la plainte de 9h à 17h sans interruption, de la plainte en boucle, un disc rayé qui grince des "ha mais moi je peux plus là, je vais avoir une crise cardiaque hein c'est vrai hein c'est vrai Madame L., hein c'est vrai que j'ai fait un malaise l'autre fois, hein je le dis mais personne m'écoute je suis toute seule pour tout faire ici, hein en plus on a le bureau le plus vieux de toute l'administration, hein le service pédagogique il a eu un relooking, mais moi je peux l'attendre mon relooking, regardez ces murs, regarder la taille du bureau, à quatre là dedans c'est invivable en plus je suis toute seule pour tout faire hein Madame L. vous le savez ça, et ce stylo qui ne marche pas ha ils vont m'entendre aux fournitures, il nous refaut des ciseaux ceux ci ne marchent jamais et les stylos disparaissent toujours ce sont ces étudiants qui nous les chipent ha ça je le sais bien hein mais ça Madame S. s'en fout, je peux perdre mes nerfs ha ça toute l'administration s'en fou, si c'est comme ça moi je pars à la fin de l'année , parce que oui il me reste deux ans à faire mais pourtant je l'aime mon travail ha ça oui mais c'est plus comme avant maintenant ça change tout le temps et ce logiciel dont on ne sait pas se servir c'est la catastrophe ha ils les auront en décembre leur cartes ha mais c'est pas vivable moi j'en peux plus moi je peux pas je vais en perdre ma santé" etc etc etc etc.

La seule lumière et sujet de prédilection de Madame E.: la retraite. Sauf que la retraite, Madame E. se demande ce qu'elle va en faire. A quoi va-t-elle occuper son temps? elle parle de clubs de sport, parce que là on rencontre des gens. Oui rencontrer des gens. Les gens. Après avoir passé 38 ans à les jeter dehors pour pouvoir avoir le temps de se plaindre dans le calme, elle s'angoisse à l'idée de ne plus en être entourée. Alors Madame L. lui propose de s'inscrire à un parti politique quelconque, parce qu'on fait des rencontres (qu'on peut beaucoup se plaindre) et qu'on peut manger à l'oeil. Et Madame L. de lui conseiller ceux qui s'en sortent bien parce qu'on y mange mieux.

Parfois il arrive que le bureau soit calme. En général ce laps de temps intervient après une dispute entre E. et L. Durant ces instants de répit, le surnaturel s'immisce. (dans le sens où toute nature a définitivement disparu) :
scène d'une fin de journée, lorsque Mademoiselle B. du bureau pédagogique vient nous passer quelques infos.
Melle B., pleine de vie et d'enthousiasme nous amène une brise de gaité, une voix chantonnante et sensée.
Nous lui ouvrons donc, après qu'elle ait frappé le code secret à la porte. On papote, on rit (ouf). Puis elle me fait part d'une requête pour Madame L ou Madame E.
Je me tourne,
-Mesdames?
silence
-Heu excusez moi de vous déranger mais Melle B. a un question pour vous.
silence
silence toujours. (elles sont assises à leur bureau l'une en face de l'autre, chacune un combiné de téléphone à l'oreille, mais ne parlent pas.)
je me tourne vers Melle B. et Yonna ma collègue vacataire, on ne sait trop que penser. Melle B. me porte secours:
-Bonjour les filles! J'aurais besoin d'un petit renseignement.
silence. elles sont toujours immobiles, muettes, téléphone à l'oreille.
On se demande toutes les trois si le temps ne se serait pas arrêté, si on ne devient pas nous aussi un peu sonnées, ou si, bel et bien, ce ne sont pas de véritables êtres humains à deux mètres de nous.
Rires de contenance, rire pour se rassurer...
Melle B. persévère:
-Youhou! S'il vous plaît!
Madame E: Oui qu'est-ce qu'il y a? on me parle?
Melle B. pose enfin sa question.
Madame E: Ha non ça c'est pas moi qui m'en occupe et puis j'ai pas le temps. Ça c'est le travail de Madame L.
Elle retourne dans son immobilité. Madame L. n'avait toujours pas réagi.
silence.
On essaie de réveiller L. rien.
Trois tentatives avant qu'elle prenne vie. Pour finalement répondre que ce n'est pas de son ressort et que Melle B. doit aller voir au bureau 20.

Un mois que je suis là. Un mois que je suis plongée là dedans. Et encore pour autant. Avant la fin. Avant la fin me dis-je. Avant la fin du cauchemar, avant de pouvoir fuir et retrouver la raison.

Quand Yonna et moi ne rêverons plus de rose...




11 septembre 2007

gouttière de Saddam et divagations à propos d'appellations

Suite à une plainte venue de mon chez moi (on peut jamais être tranquille), une plainte d'Amandine devenue coloc, loulou louloue ou louloute devrais-je la nommer en retour de ce "chouchou" auquel je me surprends parfois répondre présente, une bien respectable personne au passage puisqu'elle a signé le contrat qui stipule sa promotion au rang de coloc de moi après 7 autres tant bloggement vantés durant une année, en prenant donc un poste autrefois partagé en 7... elle assume pleinement pour la vaisselle pour l'instant, on s'y croirait, je suis émue qu'elle s'applique à m'épargner le sentiment de vide qui pourrait m' envahir... allez pendant que j'y suis, je continue sur ce sujet, je finirai ma phrase plus tard.

Dans la continuité des coutumes québécoises, nous avons pris l'habitude de trier nos recyclables. Loulou pleine d'idées ingénieuses, a proclamé "espace poubelle recyclable" le coin entre le canapé et la fenêtre. Nous pouvons donc nous permettre des attitudes pacha telles que jeter négligemment l'emballage de nos plats de sushis d'un geste du bras, par dessus notre épaule. A propos de canapé, toujours dans le but de jouer à 7 colocs en une, Louloue prend soin de créer ou faire créer des colocs imaginaires, ou matériels: elle prénomme les objets...
D'abord, mais ça c'était déjà comme ça Avant, elle a baptisé son carré gris technologique connecté à internet "Roger". Il est très important de parler à Roger comme à une personne à part entière. Je remarque qu'en général elle s'adresse à lui avec douceur, surtout quand elle le prend sur ses genoux. Il lui arrive même de le caresser du bout des doigts en l'encourageant s'il est un peu long. Ensuite, elle a adopté un canapé SDF. Pour qu'il se sente accepté parmi ses nouveaux propriétaires, elle l'a appelé. Rocket. (?...). Donc quand on accueille un invité, on lui dit "je t'en prie, assieds toi sur Rocket, il est très confortable." Et Auguste. Auguste biensûr. Celui dont j'ai participé au baptême. (c'était pour qu'Amandine se sente chez elle, je ne sais pas si elle a saisi mon geste). Auguste a l'honneur d'être notre appartement.

Dans un autre registe, loulou a fait appel à ses amies artistes pour dessiner des colocs. C'est assez troublant, parce qu'eux, nous regardent avec des yeux. Il y a Sylvain, inspiré du vrai, créé avec présence du modèle vivant. Alors maintenant son portrait ressort de la beigitude du dossier de Rocket. A celui là je l'avoue il m'arrive de parler, en prenant mon petit dèj. Parfois lorsque la fenêtre grince je crois entendre un "grphm" d'acquiescement d'antan.
Et il y a le vieux. Le vieux dessiné au feutre rouge sur le miroir. Moi qui étais partie adopter avec amour un miroir pour la salle de bain chez Ikéa, antre insoupçonnée de colocs matériels attendant leur sacre... Me voici soumise à un effet plutôt déroutant lorsque je me brosse les dents face à mon reflet transpercé par un grand visage de vieillard aux grosses cernes qui se reluque le blanc de l'oeil mal réveillé. En dessous une note accuse: "miroir anti Narcisse". JE NE PEUX PLUS NULLE PART JOUIR DE MA SOLITUDE, MOI SEULE AVEC MOI MEME, CONDAMNEE A CROISER DES DESORMAIS INNOMBRABLES HABITANTS SANS AME NI CORPS HUMAIN VENUS HANTER AUGUSTE. Amandine a peut-être un tantinet pris sa tâche trop à coeur.


Je vais vous laisser là avec louloute, et avec cette charte de vie quotidienne louloutienne, tout de même, en guise d'épilogue:

-manger bio, porter bio: laver le linge avec une cocquille de noix lavante le tout arrosé d'huile essentielle à la cannelle pour sentir bon le gâteau.

-sauver du jettage les aliments en voie de périmage de l' entreprise dont elle fait l'accueil, afin de nourrir les habitants d'Auguste, sur Rocket, Roger sur les genoux, adossé à Sylvain et avant de se brosser les dents devant Le Vieux.

-"Je vole uniquement dans les supermarchés, jamais les petits producteurs."

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Autant d'aplomb dans ses valeurs me permet de m'approcher d'une vie stable, à partir du moment où je suis accoutumée, évidemment.






BREF
Suite à une plainte d'Amandine à propos de mon dernier post bien trop dépassé et surtout ne tenant pas compte des dernières anecdotes parisiennes dont j'ai été témoin ou victime, je me repends et vous causationne de la gouttière de Sadam.
Mais qu'est-ce????? Non pas un nouveau prénom pour notre cage d'escalier, mais un instrument de torture.
Je m'explique.
Depuis quelques mois, voire années, je me vois devenir, sonorement parlant, une sorte de squelette nerveux ou dégénerescent, c'est selon. Ma mâchoire (je répugne à utiliser ce mot je le trouve moche et agressif mais je n'ai pas encore de pseudo pour ça) craque. Et c'est assez douloureux.
Pensant avoir atteint la vieillesse et les sagesses, je me rends chez un tortureur en chef qualifié diplômé pour ça, pour y apprendre que mes 4-5 années de bons et loyaux services d'esclavage à coup de ferraille orthodontiste ont endommagé mon squelette dentesque.
Remède/sentence: gouttière de Sadam.
Je ne peux qu'imaginer cet objet de torture si soigneseument nommé. J'en ai découvert l'identité sur la facture. Je vous décrirai la chose peut-être un jour.


Ce sera tout pour aujourd'hui.

Condoléances acceptées.

10 septembre 2007

la balade des lutins

c'était en mai.

c'était intemporel.

c'était entre deux temps.

c'était ailleurs.

c'était sans but.


Un beau jour donc, des lutins se rassemblèrent aux alentours de 5-6h au Machu Picchu pour admirer... le lever de soleil.



Dans le brouillard qui submergeait leurs espoirs, ils écoutèrent le guide-sans-vertige, en bons lutins touristes.



Pour tenter de percer les mystères du Sublime (voilé) qui s'offrait à leurs yeux.




Mais ces petits êtres colorés avaient une fâcheuse tendance à la dispersion, peu de capacité d'écoute, davantage de goût pour la découverte personnalisée:


Par la méditation, tel le lutin-moine solitaire,




Par la marche à rendement compétitif, tels les lutins patriotes,




Par le souci de revendiquer son être parmi les splendeurs naturelles, telle la lutine exhibitionniste,



Par le soin de partager avec autrui les émotions ressenties, tels les lutins philosophes,




Mais surtout, par un désir ardent d'exploration qui leur fit dépasser les conforts restrictifs de la prudence et de la conscience.
Tels les lutins conquérants:




Confiants envers les architectes ancestraux:




Sans perdre le sens de l'humour:




Même si s'en était pas...




M' enfin faudrait pas non plus abuser ni les prendre pour des cons:




Pi ils avaient du mérite tout de même:


(surtout dans la descente)

En témoigne le lutin des sommets:




Et son confrère le lutin-Moi, ébloui (si si).



Hors du monde. Ou au coeur du monde. Il ne savait plus trop.